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Il est très rare que dans cette page d'actualité que nous ayons a relater d'un événement aussi ancien. C'est bien ce que nous allons faire en retranscrivant quelques pages du livre d'un ancien policier devenu écrivain, Mr Patrick Caujolle. Dans son dernier ouvrage, comme l'indique son titre nous invite à découvrir " Les grandes affaires criminelles d'Occitanie" paru aux éditions Le papillon rouge en 2023. Mais c'est à un chapitre nommé " La tigresse de Faudouas " d'un livre sorti en 2009 et titré " Les mystères du Tarn-et-Garonne " que nous allons nous intéresser. Nous remercions l'auteur de nous avoir donné l'autorisation de le publier. Nous voici donc transporté en 1866 dans la salle du tribunal de Montauban.
Aujourd’hui, la salle est pleine, et les tribunes sont envahies. Certains toussent, trépignent, d’autres auscultent les rares tableaux présents. Tous attendent. Pour peu, on se croirait au théâtre, juste avant le lever de rideau ; tout le monde devant, personne en face, personne sur les côtés. L’arène n’attend que ses fauves. Ah ! Enfin, une porte latérale s’ouvre, laissant entrer des jurés que simultanément les regards abandonnent pour se laisser séduire par les toges d’hermine des trois juges ; en ce mois de mars 1866, Montauban et sa cour d’assise n’attendent que le lâcher du monstre, de la tigresse en l’occurrence. De cette tigresse, pourtant, il ne reste que le blanc des cheveux et la lividité du teint. Elle a trente-six ans, et en parait cinquante, péniblement soutenue jusqu’à son banc par les deux gendarmes de garde. Elle s’appelle Jeanne Marie, Jeanne Marie Farga, et habite Faudouas en compagnie de Laurent Martin son époux, de leur fille Rosalie et de Martin Martin, son beau-père.
“Et ount bas ? (Ou vas-tu ?) demande-t-elle à son mari ce 20 janvier. - je vais à Beaumont, voir quelques bêtes. A ce soir. ” Comment pouvait-il savoir qu’une journée aussi anodine pour lui poserait sur sa famille une tragédie qui bouleverserait à jamais leur vie ? Laurent parti, la petite au champ à surveiller le bétail, il ne restait plus à Jeanne seule avec son beau-père qu’à assouvir le terrible destin qu’elle avait fomenté à l’encontre de ce dernier. Âgé de quatre-vingts ans, usé, il était de notoriété publique que Martin Martin n’entretenait pas avec sa bru les meilleurs rapports possibles. Le lit, la table était ses principales occupations, et le peu de vivacité se liait bien plus à l’acidité de ses commentaires envers sa belle-fille qu’au la beur quotidien. Autrement dit, pour Jeanne Marie, il n’était qu’une mauvaise langue, doublée d’une grande bouche à nourrir. La solution se devait d’être trouvée. “
Au secours, au secours ! Cria t’elle en ce début d’après-midi, le père ne bouge plus !” Accourus aussitôt, les voisins ne purent que constater le décès du vieil homme et devant les blessures, l’associer à une mort violente. “Il s’est évanoui” dit Jeanne. Les traces de sang ? Regardez, la hache à côte du lit, elle est tout ensanglantée... C’est là qu’il a dû se faire mal en tombant dessus. Un témoin faisant remarquer que le sol paraissait être lavé se vit répondre : “ Croyez-vous vraiment que ce soit moi qui aie mis cette eau ? Jamais je ne suis rentré dans la chambre de mon beau père “. Puis s’étendant sur son lit, la bru éplorée se mit à pousser des soupirs : “ Mon dieu que dira mon mari en rentrant ce soir ?
“ Entrant brusquement dans la maison, Laurent Martin, faute d’obtenir d’autres explications que celles fournies aux voisins, ne put que regretter son périple à Beaumont et laisser la compassion s’effacer devant les soupçons des enquêteurs. “Jeanne, enfin qu’avez-vous fait ? Regardez vos mains, elles sont encore tachées de sang ! Et votre châle, votre jupon, pourquoi sont-ils parsemés de cheveux blancs ? - Je n’ai rien fait, au contraire, j’avais une pièce de 1 francs et 20 centimes de billon, je les avais placés sur la tablette de mon armoire et maintenant, elles n’y sont plus... Ce doit être le voleur qui est le meurtrier de Martin.
Une fouille minutieuse de la chambre ne résista guère à ses dires. Dans l’armoire, soigneusement cachées sous une pile de linge, furent bientôt découvertes les deux pièces. Les regards des enquêteurs la poussèrent aux aveux. “Ça s’est passé quand je suis rentré dans la chambre de Martin pour tamiser de la farine. Comme il ne voulait pas, on s’est adressé de vifs reproches, et mon beau-père est précipitamment descendu du lit. Alors, il s’est violemment jeté sur moi, avec son bâton et moi je l’ai frappé avec la traverse de la huche à pétrir. Après, je l’ai renversé sur le lit, et je lui ai fortement serré le cou avec la main. Ensuite, je ne sais ce qui m’a pris, mais comme il avait perdu connaissance, je suis allé dans la chambre voisine prendre un ruban de fil, et j’y ai fait un nœud coulant que je lui ai passé autour du cou et ... “.
Énoncés de la sorte en reposant sur une algarade initiale, les aveux étaient certes primordiaux, mais occultaient toute préméditation. Poussée dans ses derniers retranchements, Jeanne Marie finit par donner des faits une version légèrement différente. Attaqué dans son lit à coups de traverse de huche, le vieillard aurait trouvé la ressource de se lever, de se saisir d’un bâton et de tenter de se défendre. Seul un coup porté à la poitrine l’aurait fait vaciller et tomber sur sa couche. Là étourdi et épuisé par la lutte Martin aurait été partiellement étranglé et étourdi avant de tenter de s’échapper dans un ultime effort. Jeté à terre sans connaissance, il ne restait plus à sa bru qu’à se saisir du nœud coulant dûment préparé, et à serrer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Bruler le fil, maculer le sang de la hache placée près du lit, placer le tranchant sur le front du cadavre, puis disposer symétriquement les sabots de la victime auprès du lit, furent ensuite les derniers préparatifs du simulacre. Une sortie par une porte dérobée, deux ou trois rencontres “inopinées” avec des voisines pour se créer un alibi et quelques cris d’effroi en repassant par la porte principale orienteraient à coup sûr les témoins vers la piste accidentelle. Pour peu qu’une ou deux pièces disparaissent et laissent germer l’idée du rôdeur, les pistes n’en seraient que davantage brouillées.
“Mais qu’est-ce qui vous a pris ? Demanda le juge -Je n’en pouvais plus de le supporter, répondra-t ’elle, en plus il était à charge. ”Heureusement pour elle, Jeanne Marie Farga se voit commettre un jeune avocat, Me Dupré, qui arguant de la folie de sa cliente, se révéla brillant dans sa plaidoirie. Le jury retint donc le meurtre, mais réfuta la préméditation, tout en accordant à l’accusé le bénéfice des circonstances atténuantes.
La cour, par la bouche du procureur impérial condamna Jeanne Marie Farga à vingt ans de travaux forcés.